Une des premières entreprises de la peinture n’a-t-elle pas été de figurer d’abord sur des murs, puis des toiles, des images de notre environnement ? Cette figuration a mené à des lois de perspective et développé une technicité picturale qui reste une des grandes directions de l’art.
Jeu de séduction et de confusion du spectateur, le trompe-l’œil a porté très évidemment son choix plus volontiers vers des sujets inanimés ou statiques.
Le domaine du trompe-l’œil ne se limite pas qu’au tableau ; lorsqu’il en dépasse le cadre, il envahit le mur tout entier et devient peinture murale. L’architecture y est alors figurée selon les lois de la perspective pour le spectateur ; elle peut aussi, dans une illusion saisissante, être un vrai trompe-l’œil architectural.
Malgré tout ne confondons pas tromperie efficace et représentation picturale très réaliste : Un objet qui sort du cadre et peint sur le bord du tableau est souvent un trompe-l’œil destiné à montrer que le reste du tableau n’en est pas un (Voir les écrits de Daniel Arasse : Le Détail, pour une histoire rapprochée de la peinture), une vue en perspective dans un cadre est une représentation, une perspective peinte dans le décor même pour en prolonger la réalité, un trompe-l’œil, comme les moulures et fenêtres décorant les façades italiennes de la Ligurie.
La peinture est la grande alliée de l’architecture. La perspective
n’est elle pas le premier outil de la peinture pour rendre compte de
l’espace sur la planéité de son support ? La couleur, quant à elle,
inventera la lumière et l’ombre dans cet espace figuré.
L’illusion d’espaces figurés prolongeant
l’espace réel du spectateur a été au
cœur des démarches de Piero della Francesca (XVe siècle), maître dans l’art de la perspective (De prospectiva Pingendi, son traité sur la perspective en peinture), mais qui ne cède jamais aux effets du trompe-l’œil.
Peint à même le support mural de l’architecture qu’il sert et
prolonge, le trompe-l’œil est construit et s’appuie sur les lois de la
perception. Le peintre construit l’illusion d’un monde en trois
dimensions sur une surface plane.
Cette construction picturale est basée sur une vision monoscopique
fondée sur un point de vue unique du spectateur. La perspective choisie
est fonction de ce point de vision précis, mais la perspective des
fuite des lignes de la peinture se déformera si le spectateur quitte ce
point de vue privilégié.
Plus tard, au XVIIIe siècle, Giambattista Tiepolo secondé par le quadraturiste Gerolamo Mingozzi Colonna, peint les extraordinaires fresques du Palais Labia à Venise. À Würzburg,
en Allemagne, il décore de fresques la grande salle à manger de la
résidence du prince-évêque Karl Philipp von Greiffenklau, puis du
monumental escalier.
Tiepolo a joué subtilement dans ses peintures murales
avec des couleurs d’une légèreté aérienne, de points de fuite multiples
et successifs, trichant ainsi avec les lois même de la perspective
unique.
Point de fuite simple ou multiple, l’artiste construit une véritable
scénographie qui conduit et perd le regard, art savant qui donne à voir
et à croire.
La couleur aussi dans son traitement pictural est sujette à une
perspective aérienne (ou atmosphérique) qui tient compte de la
proximité ou de l’éloignement (lointains bleutés). La netteté des plans
rapprochés, le flou des lointains, la diminution des contrastes avec
l’éloignement contribuent à rendre sensible une profondeur figurée sur
une surface plane.
Charles Baudelaire, De la Couleur, Salon de 1846.« L’air joue un si grand rôle dans la théorie de la couleur que, si un paysagiste peignait les feuilles des arbres telles qu’il les voit, il obtiendrait un ton faux ; attendu qu’il y a un espace d’air bien moindre entre le spectateur et le tableau qu’entre le spectateur et la nature. Les mensonges sont continuellement nécessaires, même pour arriver au trompe-l’œil. »